Les vaudois, de l’hérésie au protestantisme
Nous sommes en 1545, dans le Lubéron, dans le sud de la France.
Une armée s’est rassemblée dans ce magnifique coin
de Provence pour accomplir une terrible mission insufflée par
l’intolérance religieuse.
DES villages seront rasés et leurs habitants emprisonnés
ou tués. Ce bain de sang durera une semaine. Lors de ce
massacre, des soldats cruels commettront des atrocités qui
choqueront l’Europe. Près de 2 700 hommes seront
tués et 600 envoyés aux galères, sans parler
des souffrances qu’auront à endurer femmes et enfants. Le
roi de France et le pape rendront gloire au commandant militaire qui se
charge de cette campagne sanglante.
La Réforme déchire déjà l’Allemagne
quand François Ier, le très catholique roi de
France, inquiet de la propagation du protestantisme, ordonne une
enquête sur les prétendus hérétiques de son
royaume. Au lieu de n’en trouver que quelques cas isolés,
les autorités découvrent en Provence des villages entiers
de dissidents religieux. Pour anéantir ces
hérétiques, on passe un édit dont
l’application aboutira finalement au massacre de 1545.
Qui étaient ces hérétiques ? Et pourquoi
subiront-ils les foudres de l’intolérance religieuse ?
De la richesse aux haillons
Ceux qui ont péri dans ce massacre appartenaient à une
mouvance religieuse qui remontait au XIIe siècle et qui
s’étendait sur une grande partie de l’Europe. Ce
mouvement est unique dans les annales de la dissidence religieuse par
la façon dont il s’est étendu et a survécu
pendant plusieurs siècles. Pour la plupart des historiens, il a
débuté vers 1170 ; en effet, à cette
époque, Vaudès, un riche marchand de Lyon, a ressenti un
vif désir d’apprendre comment plaire à Dieu.
Apparemment touché par un conseil que Jésus Christ avait
prodigué à un certain homme riche, celui de vendre ses
biens et de donner aux pauvres, Vaudès prend des dispositions
pour mettre sa famille à l’abri du besoin, puis renonce
à ses richesses pour prêcher l’Évangile
(Matthieu 19:16-22). Très vite, il a des disciples, que
l’on nommera plus tard les vaudois.
La vie de Vaudès sera centrée sur la pauvreté, la
prédication et la Bible. Ce n’est pas la première
fois qu’une voix s’élève contre
l’opulence du clergé. Depuis quelque temps, un certain
nombre de dissidents cléricaux dénoncent la corruption et
les abus de l’Église. Mais Vaudès est un laïc,
comme la majorité de ses disciples. C’est sans doute ce
qui explique pourquoi il a ressenti le besoin de posséder une
Bible en langue vernaculaire, la langue du peuple. Comme la version de
la Bible qu’utilise l’Église est en latin et que
seul le clergé la comprend, Vaudès commande une
traduction des Évangiles et d’autres livres de la Bible en
franco-provençal, la langue parlée par le commun peuple
dans le centre-est de la France. Suivant le commandement de
Jésus de prêcher, les Pauvres de Lyon prennent les rues
d’assaut avec leur message (Matthieu 28:19, 20). Pour
l’historien Gabriel Audisio, c’est leur insistance à
prêcher en public qui a décidé de la position de
l’Église à leur encontre.
Catholiques puis hérétiques
À cette époque, la prédication est une
prérogative cléricale et l’Église
s’arroge le droit d’octroyer l’autorité de
prêcher. Pour le clergé, les vaudois sont des ignorants et
des illettrés. Mais en 1179, Vaudès demande au pape
Alexandre III une autorisation officielle de prêcher.
Permission accordée, mais soumise à l’accord des
prêtres locaux. Malcolm Lambert, historien, fait remarquer que
“ cela équivalait quasiment à un refus
absolu ”. En effet, l’archevêque de Lyon, Jean
de Bellesmains, a formellement interdit la prédication par les
laïcs. Vaudès réagit en citant le texte
d’Actes 5:29 : “ Nous devons obéir
à Dieu, en sa qualité de chef, plutôt qu’aux
hommes. ” Refusant de se soumettre à
l’interdit, Vaudès sera excommunié en 1184.
Certes, les vaudois sont bannis du diocèse de Lyon et
chassés hors de la ville, mais il semble que cette
première condamnation reste quelque peu théorique. Les
gens du commun peuple, pour beaucoup, admirent leur
sincérité et leur mode de vie, et même des
évêques continuent de discuter avec eux.
Selon l’historien Euan Cameron, il est manifeste que les
prédicateurs vaudois ne “ s’opposaient pas
à l’Église romaine par principe ; ils
souhaitaient seulement prêcher et enseigner ”. Des
historiens pensent en effet que ce mouvement a basculé dans
l’hérésie à cause d’une série
de décrets qui en ont progressivement et durablement
marginalisé les adeptes. Les condamnations de
l’Église atteignent leur point culminant quand, en 1215,
le IVe concile du Latran jette l’anathème aux
vaudois. Comment leur prédication en sera-t-elle
affectée ?
La clandestinité
Vaudès meurt en 1217. La persécution disperse ses
disciples dans les vallées françaises des Alpes, en
Allemagne, dans le nord de l’Italie, et en Europe centrale et
orientale. Toujours à cause de la persécution, les
vaudois s’installeront dans les campagnes, ce qui restreindra
leur activité de prédication dans pas mal de
régions.
En 1229, dans le sud de la France, l’Église catholique a
achevé sa croisade contre les cathares, ou albigeois. Dès
lors, les vaudois deviennent l’objet de ses attaques.
L’Inquisition ne tarde pas à se retourner sans
pitié contre tous les opposants à l’Église.
De peur, les vaudois entrent dans la clandestinité. Dès
1230, ils ne prêchent déjà plus en public. Audisio
écrit : “ Ils doivent entretenir les
fidèles dans leurs croyances, les maintenir dans la
communauté des Frères malgré pressions et
persécutions beaucoup plus que partir à la conquête
de nouvelles brebis. ” Il ajoute que “ la
prédication demeure une exigence, mais [qu’]elle a
complètement changé de nature ”.
Croyances et pratiques
Plutôt que de laisser tant hommes que femmes prendre part
à la prédication, dès le XIVe siècle,
les vaudois marquent une distinction entre prédicateurs et
croyants. Seuls des hommes bien formés pourront alors se livrer
à l’activité pastorale. Ces ministres
itinérants seront plus tard nommés des barbes (oncles).
Les barbes, en rendant visite aux familles vaudoises chez elles,
veilleront plus à préserver la vitalité du
mouvement qu’à l’étendre. Tous les barbes
savent lire et écrire, et leur formation, fondée sur la
Bible, dure jusqu’à six ans. Ils utilisent la Bible
en langue populaire pour l’expliquer plus facilement à
leurs ouailles. Même leurs opposants déclareront que les
vaudois, y compris leurs enfants, possèdent une solide culture
biblique et sont capables de citer de longs extraits des
Écritures.
Entre autres choses, les vaudois de la première heure rejetaient
le mensonge, le purgatoire, les messes pour les morts, les pardons et
les indulgences du pape, ainsi que le culte de Marie et des
“ saints ”. Ils célébraient aussi
une fois par an le Repas du Seigneur, ou Cène. Selon Lambert, le
culte qu’ils rendaient “ était, dans les faits,
la religion du laïc ordinaire ”.
“ Double vie ”
Les communautés vaudoises étaient très unies.
Chacun se mariait au sein même du mouvement et, à travers
les siècles, cette habitude a créé des patronymes
vaudois. Cependant, dans leur combat pour continuer d’exister,
les vaudois essaieront de dissimuler leurs opinions. À cause du
secret lié à leurs croyances et à leurs pratiques,
il ne sera pas difficile pour leurs opposants de porter contre eux des
accusations scandaleuses, comme par exemple, celle d’adorer le
Diable.
Pour contrecarrer de telles accusations, les vaudois feront des
compromis et pratiqueront un culte que l’historien Cameron
qualifie de “ conformité minimale ” au
catholicisme. Beaucoup de vaudois iront se confesser aux prêtres,
assisteront à la messe, utiliseront l’eau bénite,
et même partiront en pèlerinage. Lambert note que
“ dans plus d’un domaine, ils faisaient comme leurs
voisins catholiques ”. Audisio déclare sans
ménagement que, à la longue, les vaudois
“ menaient une double vie ”. Il ajoute :
“ D’un côté, ils affichaient un
comportement extérieur catholique, ce qui leur garantissait une
tranquillité relative ; d’un autre, ils
accomplissaient secrètement un certain nombre de gestes entre
eux, ce qui assurait la continuation de la
communauté. ”
De l’hérésie au protestantisme
Au XVIe siècle, la Réforme changera
complètement la scène religieuse de l’Europe. Les
victimes de l’intolérance devront soit se battre pour
obtenir une reconnaissance officielle dans leurs pays, soit
émigrer à la recherche de conditions plus favorables. La
notion d’hérésie deviendra aussi moins cruciale
puisque pas mal de gens auront commencé à contester
l’orthodoxie religieuse établie.
Dès 1523, Martin Luther, le célèbre
réformateur, fait allusion aux vaudois. En 1526, un des barbes
vaudois rapporte dans les vallées alpines des informations sur
les nouvelles conceptions religieuses qui se répandent en
Europe. Une période d’échange suivra pendant
laquelle les communautés de protestants partageront des
idées avec les vaudois. Les protestants encourageront aussi les
vaudois à subventionner la première traduction de la
Bible en français depuis les langues originales. Imprimée
en 1535, cette traduction sera plus tard connue sous le nom de Bible de
Olivétan. Paradoxalement, la plupart des vaudois ne comprenaient
pas le français.
Alors que la persécution conduite par l’Église
catholique se poursuit, un grand nombre de vaudois, à
l’exemple des émigrants protestants, s’installent en
Provence, une région plus sûre. Bien vite, les
autorités sont informées de cette immigration. En
dépit de bon nombre de comptes rendus élogieux du mode de
vie et de la moralité des vaudois, certains
s’interrogeront sur leur fidélité et les accuseront
de troubler l’ordre public. L’édit de
Mérindol sera prononcé, avec comme conséquence
l’horrible bain de sang mentionné au début de
l’article.
Les relations entre catholiques et vaudois continueront à se
détériorer. En réponse aux attaques lancées
contre eux, les vaudois auront même recours aux armes pour se
défendre. Ce conflit les poussera dans le giron du
protestantisme, et c’est ainsi qu’ils s’allieront
avec lui.
Au fil des siècles, les églises vaudoises se sont
établies dans des pays aussi éloignés de la France
que l’Uruguay ou les États-Unis. Cependant, la plupart des
historiens sont d’accord avec Audisio quand il dit que
“ le valdéisme s’éteint au temps de la
Réforme ” quand il “ s’est
noyé ” dans le protestantisme. En fait, ce sont des
siècles plus tôt que le mouvement vaudois a beaucoup perdu
de son zèle du début, quand ses membres ont, par crainte,
abandonné la prédication et l’enseignement
basés sur la Bible.
[Notes]
On fait référence à Vaudès,
d’où est tiré le terme
“ vaudois ”, sous différentes
appellations : Valdès, Valdesius (en latin) ou Valdo. On
appelait aussi les vaudois, ou vaudésiens, les Pauvres de Lyon.
Dès 1199, l’évêque de Metz se plaint
auprès du pape Innocent III que des individus lisent et
examinent la Bible en langue vernaculaire. Il est fort probable que
l’évêque fait référence à des
vaudois.
Ces diffamations continuelles contre les vaudois donnèrent
naissance au terme vauderie, utilisé pour qualifier ceux que
l’on soupçonnait d’hérésie ou
d’adorer le Diable.
w02 15/3 p. 20-23 Les vaudois, de l’hérésie au protestantisme
Les Vaudois — des hérétiques ou des hommes épris de vérité?
NOUS sommes au XIIe siècle de notre ère,
c’est-à-dire 200 ans avant Wyclif et Huss, et
300 ans avant Luther. Le cadre géographique? C’est le
sud de la France et les vallées alpestres de France et du nord
de l’Italie. Le commun peuple vit dans la pauvreté,
volontairement maintenu dans l’ignorance par un clergé
riche et souvent débauché. L’Église
catholique règne en maître dans toute l’Europe; elle
est puissante, opulente et attachée aux biens de ce monde.
Sur cette toile de fond se détache un groupe de gens. Le
contraste est net. Ces hommes-là croient que la Bible est la
Parole de Dieu et s’efforcent de vivre en harmonie avec ses
justes principes. Deux par deux, ils vont par monts et par vaux
prêcher et enseigner toutes les vérités
qu’ils ont réussi à découvrir en lisant les
parties de l’Écriture qui sont disponibles dans leur
langue. On se met alors à les pourchasser pour
hérésie, et beaucoup perdent la vie. Mais qui sont-ils
donc?
En France, on les connaissait sous le nom de Vaudois. Pour leurs
persécuteurs catholiques, qui parlaient le latin,
c’étaient les Valdenses.
LES PRÉCURSEURS
Les historiens catholiques et protestants ne sont pas d’accord
sur l’origine des Vaudois. Les catholiques veulent faire croire
que cette “secte d’hérétiques”, comme
ils l’appellent, constituait un phénomène
isolé qui apparut de façon soudaine à la fin du
XIIe siècle, sous la conduite d’un Lyonnais du nom de
Valdès ou Valdo. De nombreux protestants, par contre,
soutiennent que les Vaudois n’étaient que l’un des
maillons d’une lignée ininterrompue de dissidents qui va
des jours de l’empereur Constantin (au IVe siècle de
notre ère) aux réformateurs protestants du
XVIe siècle. Ces historiens pensent que le nom Vaudois
vient du latin vallis (vallée) et se rapporte au fait que les
dissidents, pourchassés sans répit comme
hérétiques, durent chercher refuge dans les
vallées alpestres de France et d’Italie.
Bien sûr, les historiens catholiques rejettent cette explication
comme non historique. Mais en prétendant que les Vaudois
apparurent sur la scène médiévale de façon
subite, l’Église catholique sous-estime le fait patent
qu’il y eut beaucoup d’autres dissidents avant que Valdo
commence à prêcher vers la fin des
années 1170. À la vérité, Valdo et ses
compagnons semblent avoir été un point de ralliement pour
d’autres groupes dissidents du même genre, dont certains
existaient déjà de longue date.
L’Église catholique aimerait nous faire oublier que, bien
avant Valdo, il y avait déjà chez elle des graines de
mécontentement. Citons le cas de l’évêque
Agobard de Lyon (779-840), qui s’insurgea contre le culte des
images, contre la dédicace d’églises à des
saints et contre la liturgie non conforme aux Saintes Écritures.
De l’autre côté des Alpes, à Turin, en
Italie, l’évêque Claudius, un contemporain
d’Agobard, adopta une attitude semblable. Il condamna les
prières pour les saints, la vénération des
reliques et de la croix, et rejeta la tradition ecclésiastique
en général, l’accusant d’être contraire
aux Écritures. Claudius de Turin fut appelé le
“premier réformateur protestant”. Il mourut entre
827 et 839.
Au XIe siècle, l’archidiacre Bérenger, de
Tours, qu’on dit avoir été l’un des plus
grands théologiens de son époque, s’opposa au dogme
de la transsubstantiation, affirmant que le pain et le vin
utilisés pour commémorer la mort du Christ restent des
emblèmes et ne se transforment pas miraculeusement en chair et
en sang du Christ. Il soutint aussi la supériorité de la
Bible sur la tradition. Bérenger fut excommunié pour
hérésie en 1050.
Tout au début du XIIe siècle, deux grands dissidents
apparurent en France. Ils se nommaient Pierre de Bruys et Henri de
Lausanne. Le premier débuta comme prêtre dans les Alpes
méridionales. Mais il ne tarda pas à quitter la
prêtrise à cause de divergences de vues sur des doctrines
aussi importantes que le baptême des enfants, la
transsubstantiation, les prières pour les morts,
l’adoration de la croix et l’utilité des
églises. Expulsé des diocèses des Alpes
méridionales, il se mit à prêcher directement aux
habitants du sud de la France et fit de nombreux disciples. Il
périt sur le bûcher à Saint-Gilles, près
d’Arles, en 1140.
L’œuvre de Pierre de Bruys fut reprise par Henri de
Lausanne, aussi appelé Henri de Cluny. Dès 1101, ce moine
avait commencé à critiquer hardiment la liturgie
ecclésiastique, la corruption du clergé de son
époque et le système hiérarchique. Il soutenait
que la Bible était la seule règle en matière de
foi et de culte. Henri de Lausanne commença à
prêcher au Mans, dans l’ouest de la France. Expulsé,
il continua son œuvre missionnaire dans le sud, où il
finit par rencontrer Pierre de Bruys. En 1148, il fut
arrêté et jeté en prison pour le restant de ses
jours. Mais les idées de ces hommes se répandirent comme
une traînée de poudre des Alpes méridionales
à la Méditerranée et à travers tout le sud
jusqu’au golfe de Gascogne.
VALDO ET LES “PAUVRES DE LYON”
C’est dans ce contexte historique qu’un laïque de Lyon
entra en scène. On ne sait rien de sa naissance, qui se
situerait vers 1140. Même son nom conserve un côté
mystérieux, puisqu’on l’orthographie tantôt
Valdès, tantôt Valdo. Son prénom, Pierre,
n’apparaît dans aucun manuscrit antérieur à
1368. On pense que ce sont ses disciples qui, plus tard, lui
donnèrent ce prénom pour montrer qu’il était
un plus fidèle imitateur de l’apôtre Pierre que les
papes de Rome, qui se disaient ses successeurs.
Valdo était un riche marchand de Lyon. Il était
marié et père de deux filles. Étant un homme pieux
et un catholique pratiquant, il demanda à un ami
théologien ce qu’il devait faire, selon la Bible, pour
plaire à Dieu. En réponse, son ami lui cita Matthieu
19:21, où Jésus dit au jeune homme riche: “Si tu
veux être parfait, va, vends ton avoir, et donne aux pauvres, et
tu auras un trésor dans le ciel; puis, viens et suis-moi.”
Valdo prit le conseil au sérieux. Après avoir
donné à sa femme de quoi vivre et avoir envoyé ses
deux filles au couvent, il chargea deux prêtres, Étienne
d’Anse et Bernard Ydros, de traduire les Évangiles et
d’autres livres de la Bible dans la langue qui se parlait
couramment en Provence et dans le Dauphiné. Puis, après
avoir distribué aux pauvres le reste de ses biens
matériels, il se mit à étudier la Parole de Dieu
et à prêcher dans les rues de Lyon pour inviter les gens
à un réveil spirituel et à un retour au
christianisme simple des Écritures.
Ayant une réputation d’homme d’affaires
prospère, Valdo rencontra beaucoup d’oreilles attentives
et s’entoura bientôt d’un groupe de disciples.
Ceux-ci se réjouissaient d’entendre le message
réconfortant des Écritures dans leur propre langue, car,
jusqu’alors, l’Église avait toujours interdit la
traduction de la Bible dans une langue autre que le latin. Beaucoup
acceptèrent d’abandonner leurs biens et de se consacrer
à enseigner la Bible dans la langue du peuple. On les appela les
“Pauvres de Lyon”.
Cette prédication effectuée par des laïques
déchaîna les foudres du clergé. En 1179, le pape
Alexandre III interdit à Valdo et à ses disciples de
prêcher sans l’autorisation de leur évêque.
Comme on pouvait s’y attendre, l’évêque
Bellesmains de Lyon refusa d’accorder une telle autorisation. Les
récits historiques rapportent qu’en face de cette
interdiction, Valdo répondit aux autorités catholiques
par ces mots consignés en Actes 5:29: “On doit
obéir à Dieu, comme à un chef, plutôt
qu’aux hommes.”
Valdo et ses compagnons continuèrent donc à
prêcher. En 1184, le pape Lucius III les excommunia, et
l’évêque de Lyon les expulsa de son diocèse.
Le résultat fut le même que dans le cas des premiers
chrétiens que l’on chassa de Jérusalem. La Bible
dit: “Ceux donc qui avaient été dispersés
traversaient le pays, annonçant la bonne nouvelle de la
parole.” — Actes 8:1-4.
Ces dissidents du XIIe siècle trouvèrent refuge dans
les Alpes et dans tout le midi de la France. Ils se
déplaçaient sans cesse tout en enseignant la Bible. Sans
doute rencontrèrent-ils ainsi d’autres groupes dissidents,
tels que les disciples de Pierre de Bruys et d’Henri de Lausanne.
De l’autre côté des cols des Alpes qui menaient
à l’Italie du Nord, ils rencontrèrent les groupes
dissidents des vallées du Piémont et de Lombardie. Ces
groupes attachés à la Bible et qui, plus tard, firent
parler d’eux dans toute l’Europe sous le nom de Vaudois, ne
doivent pas être confondus avec d’autres groupes
“hérétiques” de la même époque,
tels que les Cathares ou les Albigeois, dont les doctrines tenaient
plus de la philosophie perse que de la Bible. Des récits
historiques montrent qu’au début du
XIIIe siècle, on trouvait des Vaudois, non seulement dans
le midi de la France et le nord de l’Italie, mais aussi dans
l’est et le nord de la France, dans les Flandres, en Allemagne,
en Autriche et même en Bohême, où Valdo serait mort
en 1217.
LA RECHERCHE DES VÉRITÉS BIBLIQUES
Que Valdo fût ou non le véritable fondateur du
valdéisme, c’est du moins à lui que revient le
mérite d’avoir fait traduire la Bible latine dans les
langues vernaculaires du commun peuple auquel ses compagnons et lui
prêchaient. Et souvenez-vous que cela se passait quelque
200 ans avant que Wyclif traduise la Bible pour les dissidents
d’expression anglaise!
La croyance fondamentale des premiers Vaudois était que la Bible
constitue l’unique source de vérité dans le domaine
religieux. Au milieu d’un monde qui sortait tout juste de ce
qu’on a appelé l’“âge des
ténèbres”, ces gens cherchèrent la
vérité chrétienne à tâtons. Ils
firent manifestement de leur mieux avec les quelques livres des
Écritures hébraïques et grecques qui avaient
été traduits dans une langue qu’ils pouvaient lire
et comprendre. Néanmoins, il semblerait, d’après
certains récits, que les Vaudois n’aient pas
rétabli la vérité sur des doctrines telles que la
trinité, l’immortalité de l’âme et
l’enfer de feu.
En revanche, les premiers Vaudois comprenaient suffisamment bien la
Bible pour rejeter le culte des images, la transsubstantiation, le
baptême des nouveau-nés, le purgatoire, le culte de Marie,
les prières pour les saints, la vénération de la
croix et des reliques, la repentance sur le lit de mort, la confession
aux prêtres, les messes pour les morts, les indulgences, le
célibat des prêtres et l’usage d’armes
charnelles. Ils ne voulaient pas non plus des édifices religieux
somptueux et imposants, et ils assimilaient “Babylone la Grande,
la mère des prostituées”, à
l’Église romaine de laquelle ils invitaient leurs
auditeurs à s’enfuir (Rév. 17:5; 18:4). Et dire que
tout cela se passait à la fin du XIIe siècle et au
début du XIIIe!
Les prédicateurs vaudois enseignaient la Bible et parlaient
surtout du Sermon sur la montagne et du Notre Père, textes qui
présentent tous deux le Royaume de Dieu comme la chose pour
laquelle il faut prier et qu’il faut rechercher en premier lieu
(Mat. 6:10, 33). Ils affirmaient que tout chrétien, homme ou
femme, qui possédait une connaissance biblique suffisante avait
le droit de prêcher la “bonne nouvelle”. Ils
considéraient Jésus comme le seul intermédiaire
entre Dieu et l’homme. Pour eux, puisque Jésus
était mort une fois pour toutes, son sacrifice n’avait pas
besoin d’être répété par un
prêtre pendant la messe. Les premiers Vaudois
célébraient le Mémorial de la mort du Christ une
fois par an, en se servant du pain et du vin comme symboles.
LA PRÉDICATION LEUR ATTIRE DES PERSÉCUTIONS
Les premiers Vaudois soutenaient qu’il n’était pas
nécessaire d’aller dans une église pour adorer
Dieu. Eux tenaient des réunions clandestines là où
ils le pouvaient, parfois dans des granges ou dans des maisons
particulières. Là, ils étudiaient la Bible et
formaient les nouveaux prédicateurs, qu’ils envoyaient
toujours avec un compagnon plus expérimenté. Ils allaient
deux par deux de ferme en ferme et, dans les villes et les villages, de
maison en maison. Un ouvrage autorisé (Dictionnaire de
théologie catholique, volume 15, colonne 2 591)
dit dans un article qui vise pourtant à dénigrer les
Vaudois: “Leurs enfants commençaient dès le plus
bas âge à apprendre les évangiles et les
épîtres. La prédication des diacres, des
prêtres, des évêques, consistait surtout en
citations bibliques.”
D’autres ouvrages nous apprennent que les Vaudois avaient une
excellente réputation de courage au travail, de haute
moralité et d’honnêteté dans le paiement des
impôts. Ils excluaient les pécheurs non repentants. On
parle d’eux comme de “la plus ancienne et de la plus
évangélisatrice des sectes du moyen âge”.
Voilà les personnes pieuses que des persécuteurs
religieux ont pourchassées et souvent envoyées au
bûcher. Nombre d’entre elles périrent lors de la
terrible croisade que le pape Innocent III décréta
en 1209 contre les Albigeois du sud de la France. D’autres
Vaudois furent torturés et tués par la redoutable
Inquisition qui commença dans le midi de la France en 1229.
Quelques-uns réussirent à fuir dans d’autres pays,
et beaucoup se réfugièrent dans les hautes vallées
des Alpes françaises et italiennes qui abritèrent des
communautés vaudoises pendant plusieurs centaines
d’années.
Malheureusement, avec le temps, nombre des doctrines bibliques que les
Vaudois et d’autres avaient découvertes par la lecture de
la Bible furent abandonnées. Au début du
XVIe siècle, les Vaudois furent absorbés par la
Réforme protestante et, vers la fin du XVIIe siècle,
ils allèrent jusqu’à prendre les armes.
Mais, bien qu’accusés d’être des
“hérétiques”, les premiers Vaudois furent en
fait des hommes profondément épris de
vérité et des pionniers de la traduction de la Bible, de
son enseignement et du mode de vie chrétien dans toute sa
simplicité. Certes, ils ne rompirent pas avec toutes les fausses
doctrines de la religion babylonienne, mais ils conformèrent
manifestement leur vie à ce qu’ils connaissaient de la
Parole de Dieu. Beaucoup étaient prêts à mourir
plutôt que d’abjurer leur foi. Bien sûr, seul
“Jéhovah connaît ceux qui lui appartiennent”,
et nous pouvons nous en remettre à lui avec confiance pour ce
qui est d’attribuer à ceux qui le méritent la
récompense de la vie future. — II Tim. 2:19.
w81 1/11 p. 12-15 Les Vaudois — des hérétiques ou des hommes épris de vérité?